Tribune publiée sur
Le bloc-notes de Jacques Kossowski
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Le programme fleuve énoncé par Madame Royal, le 11 février dernier, n’est pas sans rappeler les fameux « catalogues » de Jacques Prévert : on y parle de tout et de rien, en une étourdissante accumulation de mots et de formules que le hasard semble seul avoir réunis. Malheureusement, le fourre-tout lexical du discours «royaliste» ne sonne pas à l’oreille avec la douceur d’un poème, car il recèle le poison funeste de la défiance systématique à l’égard des élus.
Prenons deux exemples, empruntés au volet consacré à la «République nouvelle», que la candidate socialiste appelle de ses vœux. D’un coté, elle veut créer des jurys citoyens, et de l’autre, elle souhaite instaurer le non-cumul des mandats pour les parlementaires. Ces deux idées, non seulement se révèlent antinomiques, mais surtout flattent bassement un rejet latent de l’ensemble de la classe politique.
Estimant que les élus sont trop éloignés des électeurs, qu’ils vivent dans un univers clos et secret, Madame Royal propose d’instituer une surveillance populaire, sorte de «big brother» version démocratique. Tous les détenteurs d’un mandat électif sont prévenus, le peuple les aura bientôt «à l’œil» ! Remise en cause du caractère sacré reconnu au suffrage universel, un tel système serait en outre des plus dangereux. Dans un avion ou un hôpital, ce ne sont ni les passagers ni les malades qui sont les plus compétents pour user des manettes de pilotage ou du bistouri ! Le jour où il faudra se prononcer sur le bien-fondé d’un accord intergouvernemental, il est permis de douter de la pertinence du jugement de quelques personnes «tirées au sort». Ma conviction est que notre pays a mieux à faire que d’inventer des gadgets coûteux, inutiles et fondés sur le soupçon. Pour rénover notre vie démocratique, il serait plutôt nécessaire de faciliter l’accès aux fonctions d’élus des catégories socio-professionnelles encore insuffisamment présentes dans nos hémicycles. À cette fin, il faudrait travailler à une nouvelle évolution du statut de l’élu, qui garantirait mieux ses droits, dans les divers domaines que sont la rémunération, l’assurance sociale, la formation, le reclassement et la retraite. La question du retour à l’emploi pour ceux qui ne sont pas fonctionnaires ou assimilés demeure aujourd’hui un obstacle à l’engagement politique.
Madame Royal veut en outre empêcher un parlementaire d’être en même temps le maire de sa commune. En assignant à résidence les députés et les sénateurs au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg, elle coupe brutalement les élus du peuple qu’ils représentent. Les parlementaires, privés de l’immersion dans la vie communale, à l’abri des bruits de la rue, mis à distance du monde réel, deviendraient bien vite des êtres aseptisés, prisonniers de leurs bureaux parisiens de l’aube au crépuscule et du 1er janvier au 31 décembre. Pourtant, et tous mes collègues parlementaires peuvent en témoigner, aussi bien d’ailleurs à gauche qu’à droite, un mandat exécutif local, parce qu’il garantit une connaissance de la vraie vie, ne peut qu’aider le législateur à accomplir sa mission le plus correctement possible. Nous le savons bien, c’est prioritairement au premier magistrat de la commune que nos compatriotes s’adressent quand il sont confrontés à des difficultés, y compris en dehors du champ de compétences dévolues au pouvoir municipal. Ce qu’il faut, c’est entretenir et développer ce lien de proximité, car lui seul permet d’appréhender les attentes, de comprendre les préoccupations et de saisir les angoisses d’une société en constante mutation. Au lieu de «cumul», terme à connotation péjorative, derrière lequel se cache l’épouvantable «cumulard», il serait plus juste de parler de «complémentarité» entre plusieurs mandats. On peut légitimement se demander au nom de quel principe républicain le maire, autorité reconnue par nos institutions depuis plus de deux cents ans, pourrait soudain devenir «persona non grata» dans les assemblées législatives.
Finalement, quelle est la logique d’un projet politique où une mesure censée défendre le citoyen, par l’instauration de jurys populaires, est aussitôt niée par la suivante, qui éloigne le parlementaire de ce même citoyen ? C’est une bien curieuse «République nouvelle», celle qui officialise une suspicion permanente des élus, d’une part soumis à un contrôle constant, d’autre part limités dans le choix de leurs mandats. Nous lui préférons sans hésiter le régime actuel, qui autorise les femmes et les hommes désignés par le suffrage universel et ancrés dans les territoires à exprimer au Parlement la voix du peuple et de la nation.
Jacques Kossowski