Tribune de Jacques Kossowski publiée dans Le Figaro le samedi 3 mai 2008.
Pour Jacques Kossowski, maire de Courbevoie, député des Hauts-de-Seine et secrétaire national à l'emploi des seniors à l'UMP, le maintien des seniors à leur poste conduit au succès économique.
La retraite à 60 ans fait partie des acquis sociaux à juste titre gravés dans le marbre de la mythologie républicaine, au même titre que les congés payés ou l'enseignement gratuit, laïc et obligatoire. À ce titre, elle doit demeurer un principe de référence de notre législation. Pour autant, ce préalable étant posé, n'est-il pas aujourd'hui légitime de s'interroger sur la pertinence d'une application uniforme de cette règle, ne prenant pas en compte l'attente de nos compatriotes ?
La question mérite d'être abordée en premier lieu pour des raisons démographiques. L'amélioration des conditions d'existence ainsi que les progrès médicaux enregistrés durant les dernières décennies, en particulier dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et les cancers, n'ont cessé d'allonger l'espérance de vie. Celle-ci progresse actuellement de quatre mois par an, et dépasse 77 ans pour les hommes, 84 ans pour les femmes. À cette augmentation quantitative s'est ajouté un accroissement continu de la qualité de vie. En second lieu, la disparité des situations individuelles tend également à plaider en faveur d'une modulation de la date effective de départ à la retraite, les études indiquant par exemple que les travailleurs du secteur primaire arrivent plus affaiblis en fin de carrière que ceux du tertiaire.
De ce fait, ces derniers peuvent avoir le désir de conserver une activité professionnelle au-delà du sacro-saint âge légal et fatidique de la mise à l'écart de la vie active. Sans doute n'avons-nous pas encore pris suffisamment la mesure du désarroi moral d'un nombre grandissant de nos compatriotes, poussés vers la sortie contre leur gré. Il ne faut pas redouter de reconnaître que certaines réglementations, bien que fondées sur l'égalité de traitement due à tous les citoyens, peuvent avoir des effets pervers en voulant faire le bonheur des gens à leur corps défendant.
La chaîne Arte a diffusé mardi 8 avril un reportage très édifiant sur le sujet. Il a montré des Américains ayant réussi à se faire réembaucher, après leur départ à la retraite. Dans l'entreprise en question, la moyenne d'âge est de 74 ans ! Tous volontaires, ayant entre 62 et 96 ans, les trente-cinq seniors présents chez Vita Needle, près de Boston, ont retrouvé une raison de vivre, une utilité sociale et un cercle amical, grâce à cette nouvelle carrière qui les a, en quelque sorte, « sauvés » du naufrage de la retraite. L'une des salariées avoue qu'à 60 ans, elle avait quitté sa ville avec le désir de vivre au bord de la mer, mais que, rongée par l'ennui deux ans plus tard, elle décida de rentrer, puis de reprendre une activité professionnelle.
Ces employés, atypiques pour l'observateur français, sont considérés par le patron local à l'égal de leurs collègues plus jeunes. L'escalier qui donne accès à l'atelier symbolise cet état d'esprit : toutes et tous doivent en gravir les dix-neuf marches plusieurs fois par jour, et il n'est pas question d'aménager un ascenseur. Les seniors bénéficient néanmoins de postes ainsi que d'horaires adaptés à leurs capacités et tenant compte du caractère intentionnel de leur démarche. Ils s'avèrent des salariés motivés et consciencieux, ayant à cœur de bien accomplir la tâche qui leur est confiée, capables même d'améliorer les méthodes de production, grâce à la diversité de leurs savoir-faire et de leurs profils. Inutile de préciser que l'échange intergénérationnel fonctionne parfaitement et de manière naturelle, l'expérience des uns profitant à l'esprit innovant des autres, et vice-versa. Autre avantage, les « retraités actifs » pacifient le climat de l'entreprise, car ils sont dégagés de tout plan de carrière.
Incontestable réussite humaine, la présence de seniors se révèle aussi un succès économique. Dans l'exemple américain, au cours des cinq dernières années, le chiffre d'affaires de la société a augmenté de 20 % par an. De surcroît, dans le cadre d'une réflexion plus globale sur l'épineuse question du financement des pensions, le retour volontaire à l'emploi paraît une piste intéressante à explorer.
Le sujet mérite d'être abordé sérieusement dans notre pays. Il reste ainsi à imaginer des phases de décélération de l'activité professionnelle, pour en finir avec ce passage brutal du travail à temps complet au repos absolu. Ne craignons pas de franchir la barrière des 60 ans, comme c'est le cas en Finlande où il est déjà possible de travailler jusqu'à 68 ans. En l'occurrence, ce qui est en jeu, c'est non seulement la survie de notre système de retraite, mais aussi la santé psychologique de femmes et d'hommes qui représenteront un pourcentage croissant de la population dans les prochaines décennies. Il faudra bien un jour se demander pourquoi le travail serait la seule activité interdite après 60 ans, quand toutes les autres sont admises, voire encouragées : pratique sportive, engagement associatif, voyages de plus en plus fréquents et lointains, etc. La liberté individuelle et le minimum de respect dû à chacun ne sont-ils pas à l'heure actuelle cruellement mis en défaut ? Si l'on considère que la finalité de l'action politique est de construire une société privilégiant l'épanouissement et le bien-être de la personne humaine, il y a assurément un champ à investir pour faciliter le retour à l'emploi des retraités qui le souhaitent. Écoutons les appels qu'ils nous lancent et, dans ce domaine comme dans tant d'autres, soyons inventifs et sachons anticiper.
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